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Matthieu Vaslin

Paysan chevrier, naturaliste ornithologue

Lieu d’activité : Bordegrande, Laroque-de-Fa

Thématique : Élevage, Patrimoine naturel

Les Corbières, c’est un territoire que l’on a choisi ; avec ma compagne nous sommes originaires de l’Ouest de la France. Nous avons chacun une formation de naturaliste. Au retour d’un voyage en Mongolie, nous avons décidé de nous installer dans l’élevage et on est parti à la recherche d’espaces plus sauvages que ceux de notre région. Nous avons pensé à différents endroits et puis on est tombé amoureux des Hautes-Corbières. Cela va faire neuf ans que l’on est dans l’Aude et sept ans à Bordegrande… on est des « péluts »

La dimension naturaliste est très importante ici, le paysage est très diversifié d’une vallée à l’autre. En montant sur les crêtes du Matefagine, on trouve des points de vue à 360° sur tout le Languedoc-Roussillon, le Larzac, le Mont Ventoux, le Cap Cerbère...

Il n’y a pas beaucoup d’endroits en France où l’on trouve des entités paysagères comme celles-là.

Au quotidien, on inventorie toutes nos rencontres : lundi je baguais des vautours, ce soir on va compter les chauves-souris... Des rencontres naturalistes étonnantes, on en fait tous les jours. Une des plus belles rencontres que j’ai pu faire sur la ferme, c’est avec un Gypaète barbu. Ici on est sur un couloir de passage de l’espèce.

Lors de mon parcours professionnel j’ai travaillé onze ans à la LPO en Vendée sur une réserve naturelle et au muséum d’histoire naturelle. Ma compagne, ingénieur écologue, a travaillé pour des associations de protection de l’environnement, à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Notre parcours nous semble logique, être acteurs au sein d’un territoire… aujourd’hui on est paysans !

On a choisi l’élevage des chèvres, on fait du fromage en vente directe. On réalise la traite, on garde tous les jours, 6 heures par jour — en alternance avec ma compagne et une salariée 2 jours par semaine — de fin mai à mars de l’année d’après. De mars à mai, c’est la mise bas, les chèvres et leur chevreaux restent en parc. Garder, c’est un choix lié à nos choix environnementaux. Ça prend beaucoup d’énergie... mais on l’a bien cherché.

Grâce à la reconquête pastorale, le milieu se ré-ouvre sur certains espaces. À Bordegrande, qui est classé Espace Nature Sensible du Conseil départemental de l’Aude, nous avons travaillé à un plan de gestion et de réouverture avec le troupeau sur des « petits » paysages de landes et de sous-bois.

L’aspect social évolue bien de mon point de vue, de vraies dynamiques se mettent en place, sur un territoire où la densité est faible. Bon… faut pas se leurrer : y’a pas de bassin d’emploi attractif, mais sur un rayon de trente, quarante kilomètres de nouvelles personnes s’installent avec des projets agricoles ou artistiques, des associations se montent autour de la création de marché de producteurs comme à Laroque-de-Fa, des événements culturels se créent. Les politiques n’y croient pas toujours mais ça marche.

Je suis administrateur de l’association ADEAR, il y a eu de belles dynamiques de projets entre élus, cédants agricoles et jeunes qui cherchent à s’installer ; une des grosses problématiques, c’est l’accès au foncier. L’installation paysanne est un mode crédible, on est sur des échelles adaptées à l’environnement et cela est économiquement viable sans finir endettés pour quarante ans. Si tu arrives avec un projet d’installation en chèvre comme le nôtre et que tu dis que tu veux les faire manger sur ces collines, tu risques d’entendre, par manque de crédibilité : « tu fais demi-tour dans tes tongs et tu rentres chez toi »... pourtant ici on ne complémente pas, tout ce que trouvent les chèvres pour faire du lait, elles le trouvent dehors.

On se bat avec un groupe d’habitants contre un gros projet éolien ; pour moi, ce projet c’est se tirer une balle dans le pied. Cela n’est pas en récupérant des miettes d’un promoteur industriel que l’on va financer un projet de territoire, l’argent ça n’a jamais donné des idées. On préférerait se mobiliser sur d’autres choses, plus cohérentes avec le Projet de Parc, ou du Classement UNESCO des Châteaux plutôt que d’avoir à batailler sur ces sujets.

On serait bien mal venus d’être contre les énergies renouvelables mais pas sans concertation et pas dans cet état d’esprit ; des projets à petite échelle et participatifs seraient déjà plus adaptés. L’énergie qui coûte le moins cher et qui ne pollue pas, c’est celle que l’on ne consomme pas ; commençons par éteindre les villages la nuit, et arrêtons d’éclairer les papillons de nuit, isolons mieux les habitations, trouvons d’autres alternatives.

Je suis plutôt optimiste au sujet de l’avenir du territoire, des personnes s’installent en agriculture paysanne, les gens sont de plus en plus demandeurs de bons produits. Ce territoire sera plus vivant encore dans 15 ans. Un des freins que je perçois, est que les habitants du territoire n’aient pas la vision de ce que pourrait être un Parc. Pour que le PNR il ne soit pas une coquille vide il faut que les communes s’approprient la charte et portent des dynamiques en associant leurs concitoyens, accompagné de l’équipe du Parc.

La labélisation en Parc naturel régional d’un territoire marque une reconnaissance environnementale forte, elle pourra permettre de créer des outils pour appréhender la biodiversité, de faire évoluer des référentiels pastoraux dans une perspective environnementale, de monter des projets de recherches scientifiques, de travailler à la gestion de la protection des espèces, d’accompagner techniquement et administrativement des projets d’installations agricoles ou artistiques et culturels ; soit moteur d’accueil de population, créer de l’activité bienveillante, des écoles, des lieux de connexion.